La profondeur représente sans doute la dimension la plus obscure du champ, l’axe trouble, celui dont les propriétés ne se formulent pas clairement. Dans les opérations qui ont fondé le paradigme artistique moderne, elle a été le plus souvent sacrifiée pour ne faire que ponctuellement résurgence dans quelque démarche individuelle. A un moment donné, l’autonomie de l’art fut à ce prix. Les artistes modernes ont fait abstraction de ce principe pluriel qu’est la profondeur : principe de continuité à l’infini défiant l’autorité du cadre et la césure du hors-cadre, la profondeur était trop viscéralement attachée à des principes narratifs pour permettre l’épanouissement de la radicale nouveauté. Car tous les soupçons peuvent peser sur la profondeur. Les paradoxes se nouent selon cet axe, le sens de l’ouvert comme l’intuition du corps, la plus fermée. L’etcetera est son élément propre. En photographie, médium plus rarement découplé du réel, l’intérêt pour la profondeur du champ a donné quelques unes de ses images les plus captivantes, les plus complexes, celles qui payaient leur tribut à l’aventure de l’abstraction et celles qui s’engageaient peut-être le plus dans l’infini débat qu’entretient la photographie avec son dispositif.Ainsi, les images photographiques réunies ici travaillent le long de l’axe de la profondeur et en tirent leur principe de complication, leur puissance narrative ou leur degré subtilement dosé de lisibilité. Pionniers de la photographie pour certains, comme Florence Henri, qui a investi la profondeur comme un double du dispositif photographique avec ses jeux magiques de miroirs ou représentants de la scène contemporaine, l’exposition réunit des recherches de plusieurs générations. Jiro Takamatsu, véritable phare de l’avant-garde japonaise des années 1970, creuse l’espace pictural et encapsule le temps de la narration avec ses « Photograph of a photograph », série légendaire qui met en scène des images de son album de photos personnel. Plus récemment et avec les moyens de l’ère numérique, Idris Khan a tenté de créer des images d’archétypes en puisant dans les archives de la photographie. Ses œuvres condensent les images de séries fondatrices de l’histoire, comme notamment le travail de Bernd et Hilla Becher, en une seule image archétypique et improbable. Avec sa série « Smoke & Mirrors » (2005), Eileen Quinlan enfin a créé des complications visuelles qui célèbrent l’incertitude et matérialisent l’immatériel de la photographie, espace et lumière.