2010: Malachi Farrell

2010: Malachi Farrell

Strange fruit

 

Les ins­tal­la­tions méca­ni­sées ou ciné­ti­ques du sculp­teur irlan­dais Malachi Farrell entre­mê­lent objets de récu­pé­ra­tion, mou­ve­ments, sons et lumiè­res : une cho­ré­gra­phie qui use sans com­plexe du rabi­bo­chage comme des toutes der­niè­res tech­no­lo­gies pour mettre le spec­ta­teur à l'épreuve du danger.

 

Depuis ses débuts, l'artiste, qui vit en France, n'a de cesse de dénon­cer, sur un mode à la fois bur­les­que et grave, l'absur­dité d'un monde soumis à la stan­dar­di­sa­tion, à la répé­ti­tion, et qui obs­ti­né­ment paraît vou­loir pro­gram­mer sa propre des­truc­tion. Une oeuvre dont la verve très becket­tienne pour l'absurde évoque la guerre, l'anti­mon­dia­li­sa­tion, l'into­lé­rance, le racisme mais aussi l'envi­ron­ne­ment.

 

L'oeuvre Strange fruit fait réfé­rence au poème « Strange fruit » (Fruit étrange) ; il rap­pelle le lyn­chage de deux Noirs amé­ri­cains dont les corps pendus aux arbres avaient eu les hon­neurs de la presse. Ecrit au milieu des années 30 par Abel Meeropol (et publié sous son nom de plume Lewis Allen), ensei­gnant juif du Bronx, ce der­nier, un peu plus tard, le met en musi­que ; il sera inter­prété pour la pre­mière fois par son épouse et ensuite, en 1939, par Billie Holiday. La chan­son, consi­dé­rée comme l'une des pre­miè­res pro­test songs amé­ri­cai­nes, pré­fi­gure les luttes futu­res pour les droits civi­ques aux Etats-Unis dans les années 1950. Mais l'enga­ge­ment de Malachi Farrell se fonde plus sur le pou­voir de l'ima­gi­na­tion que sur l'enga­ge­ment poli­ti­que. Ici, l'artiste cons­truit un paral­lèle entre le lyn­chage de l'homme noir et la des­truc­tion de l'homme actuel par la misère sociale et l'incons­cience écologique. Dans une mise en scène effa­rante, il invite le visi­teur à par­cou­rir une rue mal famée d'un quar­tier amé­ri­cain. A l'exté­rieur des bâti­ments, une kyrielle de chaus­su­res pen­dent à des câbles par leurs lacets : aussi, com­ment ne pas songer à d'autres pendus ?? La pre­mière salle d'expo­si­tion offre un pay­sage de des­truc­tion, celui per­pé­tré par l'oura­gan Katrina ; plus loin l'ins­tal­la­tion Crack house pro­pulse le spec­ta­teur dans un uni­vers chao­ti­que ou le sol jonché de détri­tus se retrouve au pla­fond, mena­çant le visi­teur de l'englou­tir.

 

Dans un style où s'exprime toute l'exu­bé­rance irlan­daise, les ins­tal­la­tions de Malachi Farrell jouent de la cari­ca­ture et de l'ironie avec fré­né­sie et une cer­taine bru­ta­lité. L'oeuvre se fait mili­tante, haran­gue le public pour que se réveillent les cons­cien­ces et que l'espoir d'un monde meilleur per­dure.