Claude Parent

11 February - 14 March 2010

Notre expo­si­tion "Villes bou­cliers " pré­sente des des­sins récents de Claude Parent et fait écho à celle de la Cité D'archi­tec­ture et du Patrimoine inti­tu­lée : Claude Parent : l'oeuvre cons­truite, l'oeuvre gra­phi­que. Du 20 Janvier au 2 Mai 2010.

Pour une archi­tec­ture de sau­ve­garde

Depuis que notre pla­nète s'est révé­lée habi­ta­ble pour des espè­ces vivan­tes et repro­duc­ti­bles, elle s'est pro­po­sée comme sup­port de migra­tion : La migra­tion étant défi­nie comme un dépla­ce­ment de popu­la­tion d'un pays dans un autre pour s'y établir ; ceci en sui­vant mot à mot la défi­ni­tion des dic­tion­nai­res : que la migra­tion soit per­ma­nente ou sai­son­nière.

Aussi la terre a-t-elle été de tous temps le plus for­mi­da­ble champ migra­toire qu'il soit, à com­men­cer par la sortie des océans pour conqué­rir en ram­pant la couche ter­res­tre. Ainsi, en est-il aussi de quit­ter les arbres pour pré­fé­rer le sol et ses caver­nes.

Mais la der­nière migra­tion abso­lu­ment fabu­leuse fût sans doute celle du chas­seur pour­sui­vant le gibier pour se nour­rir et sur­vi­vre avec tous les mem­bres de ses tribus. Si l'on en croit les savants, les hommes de ce temps là, dans leur migra­tion entê­tée et géné­rale auraient grâce au gel du détroit de Behring par­couru la terre entière de l'Afrique à la Patagonie. La migra­tion pour­rait être consi­dé­rée comme le moteur même de l'huma­nité, sa raison d'être, réponse à sa soif de connais­sance par le mou­ve­ment et l'appel à la décou­verte, réponse à son inlas­sa­ble curio­sité.

Seules cer­tai­nes modi­fi­ca­tions du climat en pro­vo­quant la dis­pa­ri­tion du gibier auraient, dit-on, pous­ser les femel­les de l'espèce à décou­vrir les plan­tes sau­va­ges, à trier celles qui appor­te­raient de la nour­ri­ture suf­fi­sante pour sur­vi­vre et par voie de consé­quence auraient inventé la SEDENTARITE.

Il nous faut voir dès lors la terre comme le théâ­tre d'une lutte inces­sante entre migra­tion et séden­ta­rité au gré des capri­ces du climat. Cet état migra­toire est donc à consi­dé­rer comme natu­rel, comme une fluc­tua­tion allant de soi entre les ter­ri­toi­res emprun­tés par des popu­la­tions dites migran­tes et des espè­ces séden­tai­res fixant le sol à leur usage par­ti­cu­lier. Rien n'a changé dans les mil­liers d?années qui nous pré­cè­dent sinon que deux let­tres et un mot ont été hélas ajou­tés pour per­ver­tir cet équilibre natu­rel : migrants est devenu immi­grants, sub­stan­tif dis­cri­mi­na­toire désor­mais dans la mesure où le dic­tion­naire défi­nit aussi : Immigrer comme venir s'ins­tal­ler dans un pays étranger au sien. Dès lors que les champs migra­toi­res sont cloi­son­nés par les obs­ta­cles fixés par les séden­tai­res, le conflit éclate. Dans les années qui pré­cè­dent l'an 2000 des solu­tions pro­vi­soi­res réglaient à coup de mil­lions et de mil­lions de mort ce conflit latent. Ainsi firent les guer­res colo­nia­les et les guer­res mon­dia­les.

Mais aujourd'hui la crois­sance démo­gra­phi­que est telle que des mil­liards d'indi­vi­dus noma­des ou fixes ne pour­ront sur­vi­vre faute de sol. La terre ne pourra plus les absor­ber. Les hommes seront dans leur glo­ba­lité contraints à un combat per­ma­nent. Un raz de marée humain ana­lo­gue à un TSUNAMI, celui des non logés, détruira sur son pas­sage tout sem­blant de pro­tec­tion d'un enclos de séden­taire. Ce n'est pas la mer et son débor­de­ment qui cau­se­ront la mort de l'espèce humaine, ce n'est pas la cha­leur ni la séche­resse, ni même les vol­cans et le soleil dont on saura se pro­té­ger.

Par contre la défer­lante de mil­liards de corps d'hommes et de femmes en mou­ve­ment détruira tout sur son pas­sage, les murs tom­be­ront, des tours s'écrouleront sous les assauts de ces masses humai­nes en dépla­ce­ments incoer­ci­bles. On sait déjà que rien ne résiste à la foule. Alors ima­gi­nez une masse ver­ti­gi­neuse de mil­liards de corps s'ouvrant un pas­sage de force dans nos villes. Rien ne résis­tera au tsu­nami humain. Et cela ne se pro­duira pas dans un siècle mais dès demain, au seuil des années 2050.

Pour retar­der cette échéance mor­telle dans ce que l'on doit appe­ler, comme je l'ai fait dans un livre de Hans Ulrich Obrist « L'alerte rouge » il faut entre­pren­dre aujourd'hui deux struc­tu­res : Couvrir le sol de la pla­nète de col­li­nes conti­nues dont les pentes et contre­pen­tes empê­che­ront les foules de s'accro­cher à quoi que ce soit. Faire en sorte que les foules ne ren­contrent aucun obs­ta­cle à leur par­cours mortel et sui­ci­daire, leur ouvrir un espace lisse et continu qui les lais­sera glis­ser, surfer dans une vio­lence aveu­gle. Où iront-ils dans leur quête infi­nie, tour­ne­ront-ils sans fin jusqu'à ce qu'on leur redonne des règles du jeu nou­vel­les à ima­gi­ner ! nul ne peut le dire. L'espèce humaine peut som­brer dans des gouf­fres ou dans des caver­nes sans fond.

C'est pour cela que, aupa­ra­vant, le deuxième et impé­ra­tif devoir des archi­tec­tes sera de cons­truire d'immen­ses col­li­nes creu­ses, des villes sou­ter­rai­nes, enfouies, pro­té­gées par des cara­pa­ces inex­pug­na­bles, inat­ta­qua­bles, indes­truc­ti­bles, parce que fai­sant partie du sol lui-même, du mou­ve­ment du sol arti­fi­ciel dérobé au regard.

Au fond la chose est simple. Avec les énormes moyens tech­ni­ques dont nous dis­po­sons, nous devons réa­li­ser des bou­cliers géants, une suite d'ondu­la­tions conti­nues qui cons­ti­tue­ront le sursol de pro­tec­tion de popu­la­tions entiè­res, celles de nos villes sans oublier de recueillir les popu­la­tions dis­per­sées. Sous ces bou­cliers se déve­lop­pera un habi­tat sou­ter­rain tro­glo­dy­ti­que fait de grot­tes secrè­tes, de laby­rin­thes, d'espa­ces obli­ques conti­nus, de réseaux de com­mu­ni­ca­tion enchaî­nés. Toute cette tex­ture des abîmes sera seule capa­ble de pro­té­ger l'espèce humaine actuelle en atten­dant que les choses s'apai­sent en sur­face. Alors quand les choses se seront réor­ga­ni­sées, on pourra rou­vrir ces bou­cliers, retrou­ver la nature et peu à peu recons­ti­tuer une terre habi­ta­ble.

On quit­tera sain et sauf cette nou­velle cara­pace à cons­truire en urgence abso­lue pour sauver l'espèce humaine.

Les temps dif­fi­ci­les d'aujourd'hui doi­vent nous faire com­pren­dre que seule la croute ter­res­tre est notre sol à vivre dans la conti­nuité et les rup­tu­res.

Admettons enfin que nos villes actuel­les ne sont que des acci­dents fra­gi­les et tem­po­rai­res. Au long des siè­cles ces villes doi­vent dis­pa­raî­tre et se méta­mor­pho­ser.

Texte de Claude Parent

Pour l'expo­si­tion Villes Boucliers du 11 février au 11 mars 2010 à la Galerie Natalie Seroussi